samedi 3 octobre 2015

Âme qui vive : chapitre 1.


1

Ce fut la chute qui la ramena à la réalité. Quelques secondes plus tôt, elle se trouvait bien au chaud dans sa baignoire. L’instant suivant, elle se sentait tomber d’une hauteur de plusieurs mètres, grelottante et trempée. Que s’était-il passé entre-temps ? Sur le moment, Juliet l’ignorait. Et ce ne fut pas l’atterrissage en catastrophe sur un vieux matelas sale et abîmé qui l’y aida. Tout d’abord sonnée, elle roula doucement sur le côté. Son corps endolori refusa de se redresser. Elle réussit tout de même à rejeter ses boucles brunes en arrière afin de dégager sa vue. Il faisait sombre et froid mais elle distinguait sans peine son propre corps, qui lui parut blafard. Elle tiqua légèrement. Certes, elle était d’un naturel pâle mais tout de même, la luminosité de la cave était étrange. La jeune femme frotta lentement ses bras et ses jambes. Rien de cassé. Ouf ! Encore quelques secondes à se remettre et elle pourrait sans doute se relever.
Elle mit ce temps à profit pour observer son terrain d’atterrissage. En dehors du matelas, un nombre incalculable d’objets jonchaient le sol, entassés à divers endroits. Certains étaient bien rangés dans des boîtes en carton. D’autres formaient ici une montagne, là une cascade. Mais à bien y regarder, aucun ne semblait s’apparenter à des vêtements, pas même à un drap. Juliet soupira. Comment allait-elle remonter tous les étages sans rien à se mettre sur le dos ? Ce n’est pas son voisin du premier Oliver Brighton qui allait s’en plaindre, si jamais elle le croisait en chemin. Ce vieil obsédé profitait de toutes les occasions pour lui toucher les fesses alors se rincer l’œil gratuitement lui plairait sans aucun doute. Elle en eut un haut le cœur. Non. Elle ne lui ferait pas ce plaisir !
Lentement, elle se remit sur ses jambes et releva la tête vers le plafond. À présent qu’elle s’était un peu remise de la chute et que ses idées avaient repris leur place dans sa tête au lieu de s’éparpiller en tous sens, plusieurs gros détails lui sautèrent aux yeux. Tout d’abord, il n’y avait aucune trace de ce qui lui était arrivé. Bien qu’en très mauvais état, le plafond de la cave n’était pas percé. Il n’y avait pas le moindre morceau de bois ou de plâtre sur le sol. Pas de baignoire en vue non plus. Comment était-elle arrivée là ? Elle s’était pourtant bien sentie tombée. Ses cheveux mouillés et les gouttes qui glissaient encore sur son corps prouvaient qu’elle n’avait pas quitté son bain depuis très longtemps. Se pouvait-il qu’elle se soit endormie et qu’un intrus l’ait agressée durant ce temps puis l’ait enfermée dans la cave de son propre immeuble ? L’hypothèse lui paraissait absurde. Mais elle n’en trouvait pas de meilleure pour l’heure.
Elle secoua la tête et décida d’y réfléchir plus tard. Elle devait avant tout trouver quelque chose pour cacher sa nudité puis sortir de ce lieu sombre. La jeune femme se pencha sur un monticule d’objets brisés mais rien ne semblait assez grand ou utilisable pour ce qu’elle cherchait à en faire. Elle soupira, agacée par son manque de chance, quand une idée commença à prendre forme dans son esprit. Elle s’avança vers la pile de cartons. Elle en prit un, qu’elle vida à même le sol. Elle entreprit de se glisser à l’intérieur, le pliant et repliant autour de son corps pour en masquer une grande partie comme une sorte de robe déstructurée. La touche finale de son vêtement improvisé était une cordelette qui maintenait le tout en s’enroulant à sa taille. Bon ! Le résultat n’était pas du grand art ni de la haute couture mais au moins, elle pourrait rentrer chez elle sans perdre sa dignité. Encore ne fallait-il pas perdre trop de temps car ses cheveux dégoulinants trempaient rapidement sa robe de fortune.
Juliet remonta l’escalier de la cave à pas de loup puis s’approcha discrètement de la porte. Elle colla son oreille contre le métal tentant de percevoir les bruits extérieurs. Moins elle croiserait de voisins, moins elle aurait à inventer d’excuses et à se sentir ridicule. Des pas pressés et cadencés. Une voix masculine aux paroles incompréhensibles étouffée par l’épaisseur de la porte. Plusieurs personnes empruntant l’escalier de service. Il y avait décidément trop de remue-ménage à une heure si tardive. La jeune femme ignorait ce qui se tramait mais son instinct lui dictait de rester prudente et de se méfier. Quand le silence s’installa dans le hall de l’immeuble, elle poussa doucement la porte de métal à la peinture émaillée, retenant son souffle. Elle se glissa telle une anguille hors de la cave puis referma lentement derrière elle. Le petit cliquetis qui retentit la fit grimacer. Elle attendit quelques secondes, les yeux braqués sur l’escalier, les sens aux aguets, afin de déceler des sons indiquant que le groupe qu’elle avait entendu plus tôt ne revenait pas vers elle. Ils se trouvaient à l’étage. Leurs pas résonnaient dans le bâtiment. Les portes des appartements claquaient dès qu’ils s’arrêtaient. Ces hommes cherchaient quelque chose. Quelque chose… Ou quelqu’un.
Il lui parut peu judicieux de rester sur place. Peut-être valait-il mieux sortir, se cacher sous le porche de l’immeuble d’en face et attendre qu’ils partent. Confiante dans son plan, elle se retourna et évita de justesse d’entrer en collision avec l’homme qui se plantait derrière elle. Juliet était très grande pour une femme mais celui qui se tenait à présent devant elle la dépassait facilement d’une tête. Il avait les épaules larges et solides ainsi qu’un visage carré à l’expression dure et inquiétante. Cependant, ce qui choqua le plus la jeune femme n’était ni son allure agressive, ni même le contraste de son teint blafard et de ses cheveux noirs. Il portait une étrange tenue composée d’une tunique sombre et d’une armure romaine. L’homme se rendait ou revenait certainement d’une soirée déguisée. Le costume était parfait, dans les moindres détails. Que faisait un type comme lui engoncé dans ces vêtements ? Une chose était certaine : il ne lui inspirait aucune confiance !
D’un geste vif et brutal, il leva la main vers elle, cherchant à lui saisir le bras. À cette distance, elle n’avait aucune chance de l’éviter. Instinctivement, elle ferma les yeux, prête à hurler avec l’idée hypothétique que quelqu’un lui viendrait alors en aide. Mais le contact attendu ne vint pas. Elle rouvrit les yeux à temps pour voir l’homme se retourner. La jeune femme se retrouvait sans savoir comment à quelques mètres d’où elle se tenait auparavant. Son agresseur se renfrogna. Il semblait aussi étonné qu’elle. Juliet profita des quelques secondes qui suivirent pour s’échapper de l’immeuble. En se coulant dans l’ombre des bâtiments, toujours vêtue de sa robe en carton trempé, elle perçut l’appel du romain pour ses hommes de main. Ils ne tarderaient pas à s’élancer derrière elle.
Que pouvaient-ils donc lui vouloir ? Pourquoi elle ? Tout d’abord apeurée, ses pensées se bousculèrent dans sa tête. Elle remonta la rue tout en masquant sa présence grâce aux ombres puis trouva une autre cave où attendre que le groupe s’en aille. Elle s’assit contre le mur se cachant sous les divers objets qui l’entouraient et trouva même un morceau de drap, bien plus confortable que son bout de carton. Avec la fraîcheur de la nuit, ses cheveux n’avaient toujours pas séché. Elle espérait ne pas attraper froid et qu’un éternuement malvenu ne trahisse pas sa position.
Elle réfléchit sérieusement à sa situation et surtout à tous les évènements étranges qui lui étaient arrivés ce soir. Après mûre réflexion, elle en vint à la conclusion qu’elle s’était endormie et qu’elle se trouvait en plein monde onirique. Glacée et lasse, elle ferma les yeux et s’assoupit dans son propre rêve.

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