samedi 3 octobre 2015

Âme qui vive : chapitre 2.


2

— Hey ! Debout !
La petite voix chuchotante mais insistante de la fillette la tira brutalement de son sommeil. Juliet frissonna. L’air glacial continuait de la frigorifier et elle se sentait happée par une langueur d’agonie. Doucement, elle se blottit dans une position fœtale lui offrant un sursaut de chaleur qu’elle savait fugace et inefficace. Ne serait-elle pas mieux à se laisser de nouveau aller au bienheureux sommeil, à s’endormir pour toujours dans les bras de Morphée et rester hors d’atteinte de ce froid si désagréable ?
— Allez ! Lève-toi !
Une main fraîche se posa sur son épaule. Contre la peau de la jeune femme, elle paraissait presque brûlante. Juliet ouvrit un œil. Dans la pénombre de sa cachette, elle aperçut un visage penché au-dessus d’elle. Une jolie fillette aux joues rosées lui souriait. Des boucles brunes encadraient son visage rond. Elle fixait l’institutrice de ses grands yeux bleus. L’enfant la bouscula vivement pour la faire tourner et enrouler une couverture autour de ses épaules.
— Ne t’endors pas surtout ! Ce n’est pas le moment de tomber en léthargie.
La rudesse et le vocabulaire employés par la fillette contrastaient outrageusement avec la jeunesse et l’innocence de son apparence. Juliet se redressa tant bien que mal, constatant avec dépit qu’elle n’était toujours pas retournée dans sa baignoire et que le rêve n’avait pas cessé. Elle soupira.
— Qui es-tu ? Et pourquoi ne me laisses-tu pas tranquille ? Je veux que tout ça finisse, affirma la jeune femme.
La fillette secoua la tête en levant les yeux au ciel, en prenant un air définitivement peu enfantin.
— Ne sois pas stupide. Si tu t’endors ici tu finiras dans une sorte de comas dont il est très difficile de sortir. Très peu y ont réussi. Viens avec moi. Je connais un endroit plus accueillant.
L’enfant la tira un peu vers elle mais Juliet résista. Elle fronça les sourcils. Ses pensées, moins engourdies par le froid et le sommeil, reprenaient une place logique dans son esprit. Elle resserra la couverture autour d’elle.
— Où veux-tu m’emmener ? Comment m’as-tu trouvée ?
— Oh ! Ça ! Ce n’était pas bien compliqué. J’étais cachée dans l’immeuble d’en face quand tu t’es enfuie. J’ai vu ce que tu as fait face au centurion, ajouta-t-elle.
Juliet secoua la tête, s’apprêtant à la questionner plus avant, mais la fillette l’arrêta.
— Je te dirai tout ce que tu veux savoir. Mais tu dois d’abord m’accompagner chez moi. Ils seront là sous peu. Après, ce sera trop tard.
Elle fixa Juliet avec un regard désespéré qui fit fondre toutes les réticences de la jeune femme. Elle prit la main de l’enfant puis se releva, gardant la couverture autour d’elle.
— Il y a une fenêtre à l’arrière. Tu es plutôt menue. Tu devrais pouvoir t’y faufiler. Une fois dans la cour, nous serons en sécurité.
La fillette l’entraîna vers le fond de la pièce et lui lâcha la main. Elle poussa quelques cartons sur le côté puis replia un vieux paravent abîmé qui cachait la vue à une petite lucarne à peine assez large pour la laisser passer.
— Qu’est-ce que tu attends ? Viens m’aider !
Juliet cessa ses observations et vint prêter main forte à l’enfant. D’une main malhabile, elle tira le loquet de la fenêtre et l’ouvrit. Un air plus glacial encore s’invita à l’intérieur, fouettant le visage de la jeune femme. Elle ferme les yeux qui la picotaient déjà. Derrière elle, elle entendit la porte se déverrouiller. L’institutrice sursauta et se retourna vivement pour regarder vers la source du bruit.
— Dépêche-toi de passer ! l’activa la fillette.
Juliet délaissa la porte pour se concentrer sur la fenêtre. Elle se hissa tant bien que mal au travers de la lucarne. Ses hanches glissèrent avec difficulté, heurtant sans ménagement le cadre ébréché. Son cœur battait à tout rompre suite à la montée d’adrénaline qui avait suivi le bruit. Une fois de l’autre côté, la jeune femme jeta un regard vers la porte. Elle était grande ouverte et des hommes pénétraient déjà dans la salle. Elle tendit la main à la fillette, qui la prit aussitôt, puis elle la tira vers elle.
Trop tard.
L’homme vêtu comme un centurion romain qui avait tenté de l’attraper un peu plus tôt était déjà là et retenait l’enfant par la cheville tandis que le reste de son corps avait déjà traversé la fenêtre.
— Lâche-la ! cria Juliet, paniquée.
Les yeux exorbités, la fillette fixait la jeune femme avec une expression de terreur.
— Ne le laisse pas me prendre ! Je t’en supplie !
L’institutrice tenait fermement les mains de la petite brune mais ses doigts glissaient lentement et inexorablement. Elle avait beau chercher à les retenir, ils s’enfuyaient plus vite qu’elle ne les rattrapait. Grimaçant, elle tirait de toutes ses forces vers elle. L’enfant battait des pieds en vain, gênant plus la jeune femme que l’homme dont la poigne semblait inébranlable. Éreintée, elle sentit ses mains lâcher.
— Non ! hurla-t-elle.
Elle offrit sa dernière trace d’énergie dans un effort de traction. Soudain, l’étau de l’homme se desserra. Juliet atterrit quelques mètres plus loin, sur les fesses. Emportée par l’élan, la fillette finit dans ses bras. Tout d’abord surprise, puis heureuse d’avoir réussi ce tour de force, la jeune femme déchanta aussitôt. Étrangement, malgré sa stature impressionnante, le romain était lui aussi passé par la fenêtre sans la casser. Elle n’en revenait pas. Comment était-ce possible ? Mais l’heure n’était pas aux questions. L’homme se relevait déjà.
Juliet repoussa la fillette. Elles se mirent aussitôt sur leurs pieds. Le centurion fonçait déjà sur elles. Il tendit la main dans leur direction. Des flammes bleues en jaillirent, formant un cercle parfait autour d’elles. La petite brune s’accrocha à sa robe improvisée déjà trempée par ses cheveux. N’allaient-ils jamais cesser de dégouliner ? Elle secoua la tête, perplexe de songer à une si grande futilité alors qu’un cinglé terrifiant la menaçait clairement.
L’enfant leva la main à son tour. Une pierre du mur qui entourait la cour se détacha et percuta vivement la tête de l’homme qui tomba sur le sol dans un bruit métallique sourd.
— Comment ?… commença Juliet en regardant l’étrange fillette.
Celle-ci lui prit la main et l’attira vers une petite porte dérobée au fond de la cour.
— Chez moi, tu sauras tout, répéta-t-elle, sibylline.

Elles s’enfoncèrent ensuite dans la nuit noire.

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