samedi 3 octobre 2015

Âme qui vive : chapitre 3.

3

Elles s’arrêtèrent devant un vieux mur à demi écroulé. Depuis la rue, Juliet pouvait apercevoir une cour en mauvais état de l’autre côté. Elle avait du être laissée à l’abandon des années durant. Les pavés de l’allée étaient manquants, brisés ou déchaussés. La terre formait des vagues tout autour, soulevée par des racines. Mais de plantes, il n’y avait point, à l’exception d’un vieil arbre tordu et probablement mort bien plus loin sur la droite. La fillette ouvrit le portail en fer. Un grincement sourd s’en dégagea. Après s’être assuré que personne ne les avait suivi, l’enfant se faufila dans l’ouverture.
Juliet hésita une seconde, relevant la tête vers l’immense bâtisse qui se dressait derrière le mur. Les persiennes étaient toutes fermées. La jeune femme eut la désagréable sensation d’être observée mais aucun mouvement ne trahissait la présence d’une tierce personne. Pas une once de lumière ne s’échappait de la demeure. La cheminée ne dégageait aucune fumée. Elle avait tout simplement l’air d’une maison abandonnée. La petite brune squattait sans doute les lieux avec quelques amis.
Juliet fut tentée de fuir, de courir vers un bâtiment plus rassurant, voir même jusqu’au commissariat de police, mais les évènements récents qu’elle n’arrivait ni à expliquer, ni à réaliser, la poussèrent à suivre l’enfant et à se glisser dans la cour. Le froid transperçait déjà sa couverture trempée et recommençait à l’attaquer. Peut-être auraient-ils de quoi la sécher et la revêtir à l’intérieur. Si elle s’en sortait seulement avec un rhume, elle aurait bien de la chance !
La fillette l’attendait sur la pas de la porte. Lorsque Juliet atteignit sa hauteur, l’enfant lui prit la main puis ouvrit le lourd battant de bois. Un couloir sombre leur fit face mais l’institutrice ne recula pas. Bien que les lieux ne la rassuraient pas, l’air y était beaucoup plus chaud et rien que pour ça, elle aurait pris tous les risques à cet instant. Elle soupira, pénétrant dans la demeure, suivie de l’enfant qui referma derrière elle. La petite brune tourna la clef dans la serrure puis l’empocha tranquillement. Elle-même semblait plus détendue.
— Allons au salon, invita la fillette.
Toujours dans le noir le plus complet, elle tira la jeune femme jusqu’à une autre porte qu’elle déverrouilla. Lorsqu’elle s’ouvrit, une lumière diffuse, d’un bleu verdâtre, s’en échappa. Une fois le seuil passé, L’enfant tourna de nouveau la clef, les enfermant. Juliet remonta les mains sur ses bras, se frictionnant légèrement et savourant la chaleur bienfaisante qui l’étreignait à présent. La pièce était grande et avait du effectivement être un salon autrefois. Sur sa gauche, vestige de cette époque révolue, deux fauteuils usés et rapiécés restaient aujourd’hui près de l’âtre de la cheminée dans lequel brillait une petite pierre, source de toute lumière et toute chaleur dans la salle. Contre le mur faisant face à la porte, plusieurs couvertures avaient été entassées sur un lit de fortune, également abîmé par le temps. À sa droite, des bureaux et des tables avaient été positionnés devant la fenêtre aux volets clos. Livres, fioles et instruments de nature totalement inconnue de Juliet jonchaient le tout en tas plus ou moins ordonnés.
La fillette prit place dans l’un des fauteuils puis proposa à la jeune femme de l’imiter qui accepta avec plaisir de se couler près la petite pierre. L’enfant ne lui offrit cependant pas d’autre couverture.
— Je suis certaine que tout ce qui se produit ici doit encore te paraître étrange et que tu es toujours perturbée par ce que tu découvres. Ce n’est jamais évident pour personne mais plus tôt tu sauras à quoi t’en tenir, moins il y aura de risques pour toi, commença la petite brune. Tout d’abord, faisons les présentations. Je m’appelle Victoria Handcrof, enchantée de te rencontrer.
Elle accompagna sa tirade d’un sourire qui se voulait amical mais son ton sérieux et sa diction un peu trop parfaite lui donnait un air décalé. L’observant désormais à volonté, le regard noisette de la fillette semblait bien plus vieux qu’il n’y paraissait de prime abord. Une sorte de sagesse s’en échappait, ce qui troubla l’institutrice. Elle ne s’aperçut qu’après quelques secondes que l’enfant attendait qu’elle aussi lui donne son nom.
— Juliet Moore, bredouilla-t-elle vivement pour masquer son malaise.
— Tu as probablement beaucoup d’interrogations à l’heure actuelle alors je te propose ceci : je te raconte tout et quand j’en aurai terminé, si tu as encore des questions, j’y répondrai. Cela te convient-il ?
Juliet acquiesça d’un signe de tête, des gouttelettes continuant de s’échapper de sa chevelure. Peut-être allait-elle apprendre enfin qui étaient ce romain, ce qu’il lui voulait, comment du feu était sorti de ses doigts ou encore ces étranges bonds qu’elle avait effectué. Elle était plutôt ouverte d’esprit mais le tout semblait plus qu’impossible. L’enfant sourit, du même sourire qu’auparavant, puis reprit la parole.
— Très bien. Je me doute que tu crois dur comme fer être dans un rêve, ou peut-être un cauchemar, mais il faut que tu admettes avant toute chose que ce n’est pas le cas. Ce que tu vis est la réalité. Donc ne te laisse pas aller à ce que beaucoup font en s’imaginant que si quelqu’un ou quelque chose les achève ici, ils se réveilleront. Il n’y a rien de plus faux. Si tu disparaît, ce sera pour toujours. Il n’y a pas de songe, pas d’alternative. C’est ton unique existence alors protège-la. D’accord ?
Juliet hocha la tête, tentant toujours de se persuader que ce qu’elle avait vu était vrai, puis ouvrit la bouche pour obtenir quelques détails mais la fillette reprit.
— Pourquoi je parle de la réalité en disant « ici » ? Me demanderais-tu. Et c’est là que tout se complique car vois-tu, Juliet, il va falloir te montrer forte devant ce que je vais te révéler et surtout, tu dois me faire confiance. Même si je pense que tu auras plus de chances d’y croire après ce que tu as vu et que je t’ai sauvée deux fois tout à l’heure.
Victoria ignorait sciemment qu’elle-même avait aussi été secourue par la jeune femme. Quoi qu’il en fut, l’enfant ne ménageait pas son ton dramatique et se plaisait à faire durer le suspens. La fillette prit une grande inspiration et se lança.
— Il faut que tu comprennes que même si nous sommes dans la réalité, nous nous trouvons ailleurs. Ce lieu se nomme l’Outremonde. C’est ici que se retrouve la plupart des âmes. Car oui, tu es morte Juliet.
Un silence glacial s’installa entre elles, rompu peu après par le rire de la jeune femme qui n’avait pu se retenir malgré le sérieux qu’affichait l’enfant. Victoria s’en offusqua. Des pas lourds et traînants firent craquer le plancher au dessus d’elles, mettant un terme immédiat à son hilarité.

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