samedi 3 octobre 2015

Âme qui vive : chapitre 5.

5

Victoria avait estimé qu’à présent, Juliet possédait toutes les cartes nécessaires pour survivre libre dans la cité mortuaire et refusait de lui en dire plus. D’après la petite fille, elle devait assimiler et accepter les informations données avant d’entendre parler du « reste ». La jeune femme n’avait pas insisté. Une partie d’elle-même tendait à croire l’enfant tandis que son côté rationnel continuait à lui affirmer qu’elle ne vivait qu’un mauvais rêve. Et rien de plus. Elle ne souhaitait plus y penser afin d’éviter le mal de tête persistant qui était apparu chaque fois qu’elle s’y était adonné. Son cerveau embrouillé et embrumé n’était tout simplement pas en état de réfléchir.
Les diversions étaient suffisamment nombreuses pour exaucer son souhait. La première —et probablement la plus gênante de toutes— consistait en cette fine pellicule d’eau qui ne cessait de se renouveler sur l’ensemble de son corps, cheveux compris. Après de multiples essais pour s’en débarrasser, les draps et serviettes humides étendues près de l’âtre séchaient doucement. Mais elle, elle restait trempée. Visiblement, le monde onirique était à ce point détaillé que la mort par noyade donnait cette caractéristique spécifique aux victimes. Si ce qu’avait dit Victoria était vrai, il lui serait difficile de cacher cette évidence aux yeux des soldats de l’Ange. Peu importait puisqu’elle se réveillerait certainement bien avant qu’une histoire pareille n’arrive !
Voilà qu’elle retombait dans son dilemme ! Heureusement, le plancher craqua, attirant son attention. Hans —quoiqu’il fut — traversait de nouveau l’étage supérieur en diagonale. Elle avala difficilement sa salive. Le bruit traînant et lent de ses pas ajoutait une touche terrifiante au manoir hanté dans lequel elle se trouvait. Peut-être ferait-elle mieux d’aller voir de ses yeux l’homme qui en était la source afin de rationaliser sa peur ? Charmée par cette idée, elle chercha du regard la clef de Victoria, occupée à griffonner des notes après consultation de ses tubes à essai. La fillette l’avait retirée de sa poche puis posée sur une table sur sa droite. Parfait ! Concentrée comme elle l’était, elle ne s’apercevrait sans doute pas de sa disparition avant un bon moment. Assez longtemps pour que Juliet aille jeter un coup d’œil à l’étage.
Elle déambula longuement dans la pièce, papillonnant de ci de là d’un air décontracté et serein. Victoria finit par ignorer complètement sa présence pour se focaliser sur ses expériences. Elle adoptait une attitude sérieuse et grave qui contrastait brutalement avec son apparent jeune âge mais s’alliait parfaitement avec son regard plein de sagesse. Juliet ne savait plus trop quoi penser à propos de l’enfant. Ses problèmes avec Iris Shane étaient-ils à l’origine de l’apparition d’une fillette si mystérieuse dans son rêve ?
Elle secoua la tête pour chasser ces idées troublantes de son esprit. Discrètement, elle saisit la clef puis la cacha d’un geste naturel dans son dos. L’institutrice était satisfaite d’elle-même. Peut-être devrait-elle se reconvertir en actrice ou mieux, en espionne ? Une pointe de fierté s’insinua dans son cœur, bondissant dans sa poitrine. Il avait accéléré l’allure. Aussi, elle décida qu’il valait mieux faire taire ses émotions sous l’influence de l’adrénaline. Lentement, elle se dirigea vers la porte. Après s’être assurée que Victoria était toujours occupée, elle inséra la clef dans la serrure puis déverrouilla discrètement.
L’instant suivant, elle se retrouvait dans le couloir et refermait la porte — sans la clef — derrière elle. Hans marchait toujours à l’étage. Son cœur continuait une course folle, ce qui étaya sa théorie du rêve. En effet, il paraissait évident qu’un fantôme ne possédait plus cet organe, ou du moins, qu’il devait être inactif. Après tout, il n’avait plus de sang à répandre dans le corps ! Tout comme son souffle, qu’elle régula pour mieux se maîtriser, n’avait pas lieu d’être. Les esprits ne respiraient pas non plus.
Ces pensées rassurantes en tête, elle s’enfonça dans le lugubre couloir. L’obscurité et le silence y régnaient. Juliet avança doucement, posant sa main droite sur le mur afin de le longer. Sous ses doigts, elle sentit chaque aspérité du mur froid. Elle frissonna. En s’éloignant de l’étrange pierre de l’âtre, l’eau qui ruisselait de son corps la glaçait sans ménagement. Elle devrait trouver une solution à ce problème si le rêve se poursuivait plus longtemps. Un pas après l’autre, elle atteignit l’escalier en bois, qu’elle gravit avec autant d’application.
Tout à coup, elle se rendit compte que quelque chose avait changé. Elle fronça les sourcils, tentant de déterminer ce qui la perturbait. Elle avança sur le palier de l’étage supérieur. Les portes étaient toutes ouvertes, laissant passer les rayons de lune qui filtraient au travers des persiennes disloquées. Le plancher grinça sous ses pieds. Juliet grimaça. Mais bien sûr ! Voilà ce qui clochait ! Les pas de Hans ne résonnaient plus. Son cœur avait encore accéléré d’un cran. Paniquée, la jeune femme remit en cause le bien-fondé de sa promenade nocturne dans ces lieux et décida de retourner illico au salon avec Victoria. Finalement, elle allait attendre la journée pour visiter la bâtisse et rencontrer ses habitant.
Elle fit volte-face et se retrouva nez à nez — si l’on pouvait dire ! — avec la créature la plus immonde qu’elle n’ait jamais vu. Des yeux exorbités. Les os saillants sous une peau d’une pâleur cadavérique. Une cavité nasale béante. Sa bouche formait un sourire mauvais laissant entrevoir une dentition aiguisée. Hans gronda. Son grognement semblait sortir des ténèbres elles-même. L’institutrice était paralysée, figée sur place par cette vision d’horreur. Eut-elle voulu hurler qu’elle n’aurait pas pu. Elle avait perdu son souffle, terrorisée et à la merci du spectre qui la touchait presque. Un rictus satisfait apparut sur son visage évoquant la mort dans les moindres détails. Il avait compris que sa proie n’avait aucune chance de s’échapper. Il savoura alors la peur qui irradiait de Juliet, s’en délectant. Lentement, il leva une main griffue vers elle et lui agrippa le bras. Son corps refusait toujours de se mouvoir.
— Laisse-la ! hurla tout à coup Victoria.
La fillette se tenait en haut des escaliers. Elle tendit les mains dans leur direction. Plusieurs morceaux de tissus déchirés furent propulsés sur Hans, l’enveloppant. L’enfant attrapa la main de Juliet et la tira.
— Qu’est-ce que tu attends ? cria-t-elle, énervée. Ça ne va pas le retenir bien longtemps !
Ne plus voir l’horrible visage de la créature et les mots de Victoria la sortirent de sa transe. Elles détalèrent rapidement puis s’enfermèrent dans le salon. Quand la porte fut verrouillée. La fillette brune lui arracha la clef des mains et la remit dans sa poche.
— Tu es une idiote, affirma l’enfant. Par ta faute, j’ai été forcée de lui faire du mal. Je te déteste !

Bien que ce furent les premiers mots d’enfant qu’elle écouta de la bouche de Victoria, Juliet frissonna. Le regard qui accompagnait ces paroles portait une colère et une douleur qui lui coupa de nouveau le souffle.

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