samedi 3 octobre 2015

Âme qui vive : chapitre 6.

6

Un silence pesant s’était installé entre elles deux, uniquement brisé par le résonnement des pas traînant de Hans qui avait recommencé à parcourir le premier étage de long en large. Il était évident que la fillette avait un attachement émotionnel avec la créature mais Juliet ignorait tout de ce lien. Pourquoi l’enfant tenait-elle tant à cet être visiblement très dangereux ? Cela datait-il d’avant ou après leur soit-disant mort ? À quel point Victoria y était-elle attachée ? Qu’était capable de faire Hans ? Qui était-il ? Tant de questions demeuraient sans réponse.
La jeune femme s’installa dans le fauteuil le plus proche du lit de fortune sur lequel s’était allongée la petite brune. La peau de l’institutrice était encore humide, tout comme ce qu’elle portait, et elle se demanda si un jour elle arriverait à sécher avant de reporter son attention sur l’enfant.
— Victoria ? osa-t-elle l’appeler.
La fillette se retourna. Elle avait les yeux bleus gonflés d’avoir trop pleuré mais paraissait calme. Son regard grave avait repris sa place et la fixait patiemment en attendant que l’adulte poursuive.
— Je suis désolée pour ce qui s’est passé. Je ne voulais pas te faire souffrir.
L’enfant lui sourit brièvement puis se redressa pour s’asseoir sur le bord du lit.
— Moi aussi, je suis désolée, répondit-elle. Je n’aurais pas du te crier après. Et ne t’en fais pas, je ne t’en veux pas du tout. En réalité, c’est contre moi que je suis fâchée.
— Mais pourquoi ? demanda Juliet en prenant les mains de la fillette entre les siennes Explique-moi ce qui se passe. Je n’arrive pas à comprendre. Il me manque des éléments.
— A quoi bon ? rétorqua-t-elle, lasse. Tu ne crois pas ce que je te dis.
Juliet se mordit la lèvre. La vérité était que les histoires de Victoria semblaient difficile à croire. Même avec la meilleure volonté du monde, comment imaginer que quelqu’un qui respire et dont le cœur bat pourrait être mort ?
Un éclair luit dans le regard de la fillette. Sans prévenir, elle pinça l’avant-bras de l’institutrice, lui arrachant un grand « Ouch ! ».
— Mais qu’est-ce qui te prend ? s’étonna Juliet. Ça fait mal !
— Tu vois bien ? Tu n’es pas endormie. Tu ressens la douleur. C’est la réalité ici, pas un rêve ou je ne sais quelle illusion.
— Les fantômes ne sont-ils pas sensés être intangibles ? répliqua la jeune femme. Comment pouvons-nous ressentir la douleur si nous n’avons plus de nerfs ! Notre cœur bat toujours et nous respirons, ajouta-t-elle tout haut, dévoilant ainsi ses pensées sur le sujet.
— Tout d’abord, répondit la fillette comme si elle-même s’adressait à un enfant, nous ne sommes pas des fantômes mais des âmes, tu comprends ? Les fantômes sont des âmes qui possèdent la capacité de projeter leur image dans le monde des vivants et qui s’amusent à leur faire peur ou tentent de leur parler. La plupart des morts par lame peuvent le faire car on suppose — le « on » étant surtout moi-même — qu’une partie de leur être s’est reflétée dans la lame au moment du décès.
Elle se tut un instant pour que Juliet assimile bien.
— Ceci étant dit, les âmes ne retournent jamais dans le monde des vivants. Après la mort, elles se retrouvent toutes, sans exception, dans ce monde. C’est une sorte de nouvelle vie.
— Donc, toutes ces histoires de réincarnation, c’est du chiqué ?
— Oui et non, soupira Victoria. J’ignore si c’est vrai ou pas, mais j’ai entendu dire que l’un des Anges était capable de cet exploit mais qu’il n’offrait ce cadeau qu’à ses fidèles les plus méritants. J’ai fait quelques recherches sur le sujet en amassant des témoignages ici et là mais je n’ai rien trouvé de probant à ce sujet. En même temps, les voyageurs d’autres cités sont tellement rares et souvent inabordables qu’il est difficile d’obtenir quoi que ce soit à ce propos.
— Moi, je pourrais aller voir ?
— En supposant que tu t’entraînes, que tu trouves la bonne cité, que tu ne te fasses tuer ni par les âmes errantes, ni par les armées de cet Ange, que tu puisses l’approcher suffisamment pour lui demander et qu’il veuille bien te répondre avant de t’avoir désintégrée, oui, j’imagine que tu pourrais.
Elle rirent toutes deux.
— Je préfère éviter tout ce qui concerne la fin de mon existence alors je n’essaierai pas.
Victoria acquiesça.
— C’est mieux ainsi. Sinon, pour en revenir à te questions… Tu ressens parce que ton esprit ressent. Tu respires plus par habitude que par besoin. Une âme ne s’essouffle jamais si elle reste calme. Avec le temps tu finiras par arrêter.
Elle fit une pause. Juliet ouvrit la bouche pour poser une question mais la fillette reprit pour lui répondre.
— Non, ton cœur ne bat plus. Ton corps est géré par tes émotions. Si tu es calme et tranquille, il n’a pas besoin de réagir. Si tu as peur, que tu es surprise ou heureuse, alors ton cœur bondira ou te cognera la poitrine. Donc, je vais finir de te prouver que tu es morte. Tu as ressenti la douleur . Tu sais que tu ne dors pas. Maintenant, prends ton pouls.
Juliet fronça les sourcils, perplexe.
— Allez, insista l’enfant.
L’institutrice posa l’index et le majeur sur sa jugulaire et attendit.
Trente secondes passèrent. Toutes deux se fixaient.
Rien.
Elle n’avait plus de pouls.
Elle était morte.

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