mardi 15 septembre 2015

Nouvelle : Pour un enfant.

Pour un Enfant

L’avion atterrit aux alentours de vingt et une heures. Lorsqu’il se posa sur la piste, le tremblement sortit An de son sommeil. Le décalage horaire et les neufs heures passées enfermé dans un espace aussi clos ne lui étaient pas habituels, lui qui vivait dehors une grande partie de la journée.

L’enfant leva la tête vers la personne qui l’accompagnait, les yeux encore à demi fermés, attendant qu’on lui adresse quelques mots. Qu’il les ouvrit ou non ne changeait rien, quoi qu’il en fut. Il n’y voyait plus goutte depuis l’accident. Le petit garçon savait bien que tout était sa faute et il ne reprochait à personne ce qu’il lui était arrivé. S’il avait correctement effectué ses tâches quotidiennes, monsieur Bao ne se serait pas fâché et il n’aurait pas été obligé de lui donner une bonne correction. S’il n’avait pas cherché à se couvrir et s’il avait accepté sa punition comme il se devait, jamais la casserole d’eau fumante ne se serait renversée sur son visage.

Les services sociaux avaient été appelés rapidement et An aussitôt envoyé au centre médical du quartier. Malgré la gentillesse de sa femme, l’enfant se doutait bien que monsieur Bao ne voudrait pas garder quelqu’un d’aussi maladroit chez lui. Quand son visage alla mieux, il ne fut donc pas surpris quand on lui annonça qu’il n’y retournerait plus.

Les mois s’étaient écoulés lentement. Il était retourné à l’orphelinat avec les autres enfants. Peut-être la vie de famille n’était-elle pas pour lui, après tout. Là au moins, il n’avait rien à faire. Et comme les éducatrices s’occupaient peu d’eux, il ne risquait pas de décevoir et d’être puni. Ce qui était sûr, c’était qu’il avait toujours faim et être aveugle n’arrangeait pas les choses. Mais An avait un bon ami qui partageait ce qu’il ramenait avec lui.

La vie du petit garçon bascula de nouveau quand un homme vint offrir une large somme à la gérante de l’orphelinat pour qu’elle lui cède l’un de ses pensionnaires. Du moins, ce fut ce que lui racontèrent ses camarades. An fut choisi et, dans un premier temps, il s’était résigné à devoir retourner à des corvées au sein d’une nouvelle famille. Mais l’une des éducatrices, dans un sursaut de conscience professionnelle, voulut rassurer l’enfant.

— Ne t’inquiète pas, An, ton dossier a été longuement étudié et un couple a désiré t’adopter. Mais ces gens habitent très loin alors tu vas avoir un long voyage à faire. Madame NianZu s’est renseignée sur eux et ils ont l’air très bien. Nous pensons tous ici que c’est une grande chance pour toi parce que peu de gens veulent d’un enfant qui a tes problèmes.

Il fut emmené à l’aéroport peu après. La personne qui l’accompagnait ne lui avait pas adressé la parole et agissait avec lui comme avec un colis à livrer. Devoir rester assis sur un siège, même confortable et moelleux comme celui de l’avion, pendant des heures avait eu raison du petit garçon qui s’était endormi presque aussitôt.

On le fit débarquer au milieu d’une cohue infernale, le tenant par le bras pour éviter de le perdre. An entendait des voix provenant de toutes les directions mais il ne comprenait pas le sens des paroles prononcées. Dans quel genre d’endroit étrange s’était-il retrouvé ? Le chant des mots inconnus lui donna le tournis. Il tentait tant bien que mal de suivre son guide mais il se sentait perdu au milieu de cette fourmilière étrangère. On le frôlait. On le bousculait parfois, petite poussière invisible dans ce tumulte vertigineux. Il fut un peu soulagé quand il put s’arrêter pour reprendre son souffle.

— An ?

Son prénom avait été mal prononcé mais l’enfant le reconnut très vite. Il sonnait étrangement familier. La voix qui s’adressait à lui était douce et chaude, invitation à une promesse de bonheur. Le petit garçon se sentit tout de suite rassuré. Quelqu’un lui prit la main, avec une tendresse infinie. Des doigts fins et légers entourèrent les siens. Jamais on ne lui avait prodigué autant d’affection en si peu de temps et de gestes. Quand son guide le poussa légèrement vers la personne qui l’accueillait, An n’hésita plus un instant et se réfugia vers les bras tendus. Ceux-ci se refermèrent sur lui, enveloppants, le serrant avec tant d’euphorie retenue que les larmes du petit garçon s’écoulèrent sans contrôle des ses yeux blessés sur son visage abîmé. La voix lui murmurait des mots sans signification mais dont la douceur se gravait instantanément dans son cœur d’enfant. Des cheveux lui chatouillèrent le nez, apportant avec eux un agréable parfum ténu.

Un homme, près d’eux, choisit à son tour de s’intégrer à cette allégresse revigorante. Il les enlaça tous deux et les garda contre lui. Etait-ce donc le couple qu’on lui avait annoncé ? Se pouvait-il que les gens s’aiment à ce point dans ce monde si dur ? Tant de félicité lui parut irréel. Et pourtant, ils étaient bien là, ses parents. Ils ne le relâchèrent que bien plus tard, lui donnant chacun une main et l’entourant, comme ils allaient le faire tout au long de leur vie.

A l’aéroport, même s’il ne le voyait pas et n’en avait pas conscience, de nombreux regards se posaient sur An et le couple qui l’avait adopté. Pour certains encore, sans comprendre qu’un enfant pouvait être aussi bien sinon mieux traité qu’ailleurs, avoir deux papas restait visiblement choquant.

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