Dans les Nuages
Stéphane connaissait la montagne comme sa poche, du moins dans la région des Alpes où il vivait. Alpiniste, guide touristique pour randonneurs, en été comme en hiver, il avait plus d’une corde à son arc et était depuis longtemps considéré comme un expert dans le milieu. On le respectait et l’admirait pour son talent et son travail irréprochables. Il n’avait jamais quitté la petite bourgade qui l’avait vu naître, pas même pour suivre des études dont il n’aurait su que faire. Les Alpes étaient son berceau, son terrain de jeu, son univers.
Et à présent, la montagne n’avait plus de saveurs.
Chacun fut donc très surpris lorsque la touriste venue de la grande ville attira son attention, le séduisit et finit même par le marier. Les femmes de la petite bourgade ne l’aimaient pas beaucoup, cette pimbêche, toujours perchée sur de hauts talons, avec ses petites robes un peu trop courtes et trop légères, ses cheveux trop noirs et trop frisés ou encore sa peau un peu trop sombre. Ici, ils se contentaient de la tradition. Ils aimaient rester entre eux, dans une bulle hors du monde. Ils n’appréciaient pas vraiment les éléments extérieurs. Aurait-elle été blonde, blanche et couverte des pieds à la tête, qu’ils lui auraient trouvé des défauts. Personne ne comprenait pourquoi il n’avait pas épousé une fille du coin.
Et à présent, la bourgade n’avait plus d’âme.
La raison en était toute simple : Stéphane était tombé éperdument amoureux. Il avait apprécié son élégance, affectionné sa timidité, chéri sa conversation, adoré sa douceur. Et c’était sans réserve qu’il avait plongé dans son regard pour s’y noyer et ne jamais en revenir. Bien qu’elle l’ait incité à rejoindre son univers, elle avait fini par tout abandonner pour lui : le confort de la grande ville, son travail, ses amis, sa famille. Quand Stéphane se reprochait d’avoir bouleversé sa vie, elle affirmait qu’il lui avait fait découvrir le paradis. Elle ne regrettait rien, toute d’amour et de candeur, ignorant les ragots de la bourgade ou ne les écoutant simplement pas. Un ange parmi les Hommes.
Et à présent, sa femme était morte.
Elle l’avait quitté en plein hiver. La tempête faisait rage, violente jusque dans la vallée. Il n’avait pu la rejoindre à temps au petit chalet qu’ils partageaient. Quand il revint après sa journée de labeur, l’avalanche avait déjà tout emporté, ne laissant place qu’à la douleur. La neige à l’apparence si pure et innocente s’était révélée si froide et meurtrière. En un instant, il avait perdu son ange, sa raison de vivre. La souffrance fit très vite place au vide. Un trou béant, un canyon de solitude l’avait remplacée. Il la cherchait partout où son regard se posait. Il ne trouvait plus le goût à rien.
Et à présent, il la rejoignait.
Quand le manque devint insupportable, il se décida à la retrouver. Il grimpa sur les pentes d’une haute montagne, escalada ses falaises, traversa ses plateaux. Sa volonté et son courage se renforçaient à chaque pas. Il s’arrêta au bord du vide, admirant la mer de nuages qui s’étalait devant lui. Inspirant profondément tout en fermant les yeux, il prit appui pour plonger dans le ciel. Il allait de nouveau enlacer son ange mais quelque chose se posa sur son nez et le chatouilla avant le grand saut. Il ouvrit les yeux pour découvrir une plume d’un blanc immaculé.
Et à présent, elle veillait sur lui.
Ce signe lui fit comprendre où se trouvait le véritable courage, celui de rester quand tout s’éloigne. Elle n’aurait pas voulu qu’il mette fin à ses jours mais qu’il vive encore un peu, qu’il profite de chaque bouffée d’oxygène qu’on voulait bien lui accorder. Elle l’attendrait, il en était certain. Il quitta sa bourgade sans se retourner. Il rejoignit la grande ville comme elle le souhaitait, sans diplôme et sans argent. Il en escalada les montagnes modernes, jouant l’acrobate et le funambule pour le plaisir et l’amusement de tous. Jamais elle ne quitta ses pensées.
Et à présent, il vivait leur rêve, dans le berceau d’un ange, sur son terrain de jeu, au cœur de son univers.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire